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Le ciel nous tombe sur la tête
Matin
du deuxième jour : Je suis réveillé en sursaut par une
explosion toute proche suivie par d'autres, ainsi que des tirs à
l'arme automatique. Avec mes camarades nous sortons précipitamment
de nos sacs de couchage et commençons à nous habiller en toute hâte
lorsque l'adjudant fait éruption dans la pièce : « vite
les gars, tout le monde aux abris ». Le jour se lève à peine.
Les deux chiens, apeurés par le bruit des tirs à l'extérieure, se
tapissent en gémissant dans un coin du poste. Nous sortons au pas
de course, à peine habillé, les lacets des rangers encore
défaits, le gilet pare-balles tout juste enfilé, le casque de
travers sur la tête, le Famas à la main. Rapidement et malgré la
confusion générée par l'intensité des tirs, nous nous
répartissons dans les blockhaus comme il avait été déjà convenu.
Nous courons à découvert pour gagner nos abris respectifs. Nous
nous jetons dedans tout pantelant. Quel réveil, qu'est ce qui ce
passe bordel ? Des obus sifflent dans le ciel au dessus
de nous et explosent tout prés du poste en dégageant une fumée
grisâtre au point d'impact. Par la meurtrière de notre abri, j'en
vois un qui explose très près de notre position, puis un autre
encore plus près, puis un autre à moins de cent mètres. Nous
baissons la tête. Les éclats de l'explosion volent juste au dessus
de nous. Merci les sacs à terre. Le tout est agrémenté de tirs
abondant à l'arme automatique provenant de toutes parts. Dans le
ciel, les balles fusent dans tout les sens et martèlent le terrain à
proximité. On ne comprend rien à ce qui se passe et on a juste à
se terrer dans nos abris. Ce déluge de feu et d'acier dure une
petite heure. Par radio, l'adjudant nous dit de ne pas bouger et
d'attendre en se protégeant le mieux possible dans nos abris. Ca
tombe bien, je n'avais pas l'intention d'aller ramasser des
champignons ce matin, l'ambiance est trop orageuse. Avec mes quatre
camarades, nous échangeons de temps à autres des regards inquiets.
J'essaye d'avoir des propos rassurant et je cherche à dédramatiser
la situation avec un peu d'humour. Etrange sensation. Nous
sommes serrés dans ce petit blockhaus qui à tout moment peut
devenir notre tombe si par malheur un obus tombe dessus, pas sûr
que l'on soit complètement protégé ici. Il y a quelques
faiblesses dans l'édifice, en particulier des ouvertures trop large
à mon goût et pas assez de sacs à terre pour protéger l'ensemble
de l'abri, il faudra remédier à cela dés que possible, si Dieu
nous prête vie. Plus le temps s'écoule pendant cette période
de tirs intenses, sous le feu nourri entre les belligérants, plus
une partie de mon esprit s'échappe, s'évapore vers je ne sais où,
vers mes filles, ma femme, ma famille, mes montagnes, le ski, les
belles traces dans la poudreuse. Je ne prie pas pour que rien de
fâcheux nous arrive, je n'ai pas peur, je suis confiant. Mais
quelque chose en moi s'opère, une métamorphose irréversible. Je
suis encore là, nous sommes encore là, entier, mais nous sommes
déjà ailleurs, abasourdis, comme si l'on nous avait transporté
dans un monde parallèle. Il n'est pas bon de côtoyer le spectre
de la mort, il consume peu à peu votre esprit, votre âme. Les tirs
finissent par cesser et le silence qui s'impose subitement contraste
avec le fracas qui a juste précédé. Lorsque l'ordre est donné de
sortir de nos abris, la matinée est déjà bien avancée. Le soleil
brille et un belle journée d'automne s'annonce. Le capitaine arrive
avec son VBL1
sur notre position. Nous lui ouvrons la barrière pour qu'il pénètre
dans l'enceinte du poste. Nous apprenons alors ce qui s'est passé
exactement ce matin.
En
fin de nuit, un commando de l'armée bosniaque c'est infiltré dans
notre zone pour aller au contact d'une position serbe. A l'aube, une
offensive a été lancée et le combat s'est engagé. Les premiers
tirs de mortier étaient certainement des tirs d'appui. Ensuite il y
a eu de très nombreux tirs de riposte ainsi que des tirs de
couverture pour protéger le repli du commando qui avait des blessés
dans ses rangs. Cette opération de combat a eu lieu à environ deux
kilomètres au nord de notre position. Il y a quelques chose qui
cloche
dans tout cela. Je me demande pourquoi tout ces tirs si près de
notre poste alors que l'essentiel de l'opération se déroulait si
loin. On peut difficilement croire à des erreurs ou à des tirs de
réglage, ces combattants sont déjà très aguerris au maniement de
leurs armes. Une explication me vient à l'esprit et pas pour le
moins inquiétante. Je pense alors que pendant les combats ou même à
n'importe quelle occasion en fonction de l'humeur du moment, on nous
tire dessus simplement pour le fun.
On
évite de nous toucher franchement pour éviter le risque de
représailles, mais on s'assure de tirer très près de nous le plus
souvent possible. Sans doute pour nous effrayer et rentrer dans une
guerre d'usure psychologique avec les instances onusiennes ;
en espérant que le commandement nous retirera de ces positions pour
notre sécurité ; redonnant ainsi complètement les mains
libres aux combattants de cette zone, sans aucune interférence de
l'ONU. De même ces tirs qui nous menacent
permettent
de continuer à diffuser et alimenter le climat de terreur qui règne
en Bosnie depuis le début du conflit. Je commence alors à mesurer
la difficulté qu'il va y avoir à durer ici. Lorsque l'on sait que
de nombreux casques
bleus
ont été pris pour cible et tués depuis le début de l'intervention
de l'ONU en Bosnie, on commence à s'interroger sérieusement sur son
espérance de vie. Je me dis alors qu'il va falloir être très
prudent dans ce pays car nous sommes peu de chose au regard des
combattants qui nous entourent. Il ne va pas falloir les agacer, ni
leur donner une bonne raison de nous éliminer. Le capitaine nous
précise qu'il est intervenu avec le personnel d'une autre section
pour intercepter les membres du commando qui se repliaient avec leurs
blessés. Le médecin de la compagnie a dû prodiguer des soins à
des hommes grièvement blessés par balles. Le sergent, qui est le
conducteur du capitaine, a fait des photos de cette intervention. Je
me dis qu'ils ont eu beaucoup de chance de ne pas avoir été
atteints par tout ces tirs car le repli de ce commando a dû
s'effectuer sous le feu de leurs ennemis. Après le départ du
capitaine, nous reprenons fébrilement mais courageusement nos
activités dans le poste. La garde est renforcée et l'amélioration
de la protection des blockhaus est mise en œuvre. Après le repas de
midi, l'adjudant m'explique ainsi qu'aux sergents de la section,
qu'il a définit des itinéraires de patrouille pour notre zone
d'observation. A l'aide d'une carte topographique du secteur, nous
prenons connaissance de ces itinéraires. Dés cet après-midi, je
dois effectuer la première patrouille à pied en compagnie d'un
sergent et de quatre hommes. Après avoir bien étudié la carte et
préparer nos hommes ainsi que le matériel nécessaire, nous
quittons le poste en ordre de marche, fusil en position de combat,
colonne par un avec dix mètres d'intervalle entre chacun. Il faut
absolument veiller à conserver une distance suffisante entre chacun
d'entre nous car la menace de la présence de mines anti-personnel
n'est pas exclue. Nous avons pour mission de patrouiller une piste
sur quatre kilomètres qui mène à un petit village situé à
proximité de la limite de la zone ONU. Il fait chaud en cette belle
journée d'automne et nous transpirons à grosses gouttes sous notre
équipement, en particulier casque et gilet-pare-balles. Nous ne
croisons âme qui vive. La piste serpente légèrement à flanc de
montagne en suivant une petite vallée qui abrite un petit cours
d'eau, le même qui s'écoule en contre-bas du poste de la section.
Autour de nous on distingue des champs délimités par de petits
murets en pierre. Sur les montagnes, l'herbe commence à être jaunie
par le soleil. Nous progressons sur la piste, attentif et vigilant,
près à réagir à la moindre alerte, c'est à dire à bondir pour
se mettre à l'abri si d'aventure on nous prend à partie à l'arme
automatique depuis l'autre versant de la montagne situé de l'autre
côté du cours d'eau. Rien ne se passe. Nous sommes un peu déçus
après l'avant-goût déjà donné tôt ce matin. Sans doute que ces messieurs font la sieste avec
cette chaleur ou sont entrain de panser leurs blessures après
l'échauffourée de ce matin. Nous arrivons en vue du village, ou du
moins ce qu'il en reste, c'est à dire que des ruines. Là aussi, on
imagine qu'il y a eu des tirs d'une violence inouïe. Toutes les
toitures sont détruites et écroulées sur elle-même. Les murs des
maisons sont fracassés et seuls quelques vestiges de ces murs
tiennent encore debout, Dieu seul sait comment. Nous avons
pour consigne de ne pas nous aventurer à l'intérieure du village et
des ruines, lieux toujours propices aux pièges et aux minages de
toutes sortes. Accroupis derrière un muret, nous observons le
secteur pendant quelques minutes pour s'assurer qu'il n'y a rien à
signaler de particulier concernant toute activité militaire
potentielle. Nous entamons alors le retour par le même chemin et
avec la même prudence. Dés notre arrivée au poste, nous sommes
accueillis par les aboiements des chiens qui nous font la fête, d'un
air de dire, bravo les gars, vous êtes revenus vivants. Le
compte rendu de la patrouille est bref du fait qu'il n'y a rien à
signaler : R-A-S1.
La destruction des villages est bien antérieure à la présence de
la Forpronu dans le secteur et date certainement du début du
conflit. Une fois installés à l'ombre, nous nous autorisons un
petit rafraîchissement tellement il fait chaud, c'est à dire une
bonne bière. Comme la fin de journée s'annonce plutôt calme, nous
songeons à organiser un tournus pour se doucher et se laver dans la
tente militaire. Chacun vaque à ses occupations. Ceux qui doivent
prendre la garde s'équipent. Celui qui est de cuisine s’affaire au
fourneau. D'autres commencent à se détendre ostensiblement en
sortant un jeu de cartes. Certains commencent à écrire en France.
Subitement, des tirs reprennent dans les montagnes, les obus
recommencent à siffler au dessus du poste accompagnés copieusement
de tirs fournis à l'arme automatique. L'adjudant sonne de nouveau le
branle-bas de combat et tout le monde doit se réequiper2
en vitesse. Nous sortons précipitamment pour aller nous mettre à
l'abri dans les blockhaus. Celui qui avait la chance d'avoir été
désigné pour aller se laver en premier sort de la tente, à moitié
nu et complètement affolé. Il manque de s'étaler par terre en
glissant sur un caliboti, déclenchant l'hilarité générale. Nous
gagnons les abris d'un pas moins rapide cette fois-ci. On s'habitue
vite à tout ce cirque. D'autant que la perspective d'une
soirée confinés dans le petit blockhaus ne nous enchante guère.
Par radio, l'adjudant réitère l'ordre de bien prendre note de
l'ensemble des tirs observés. Une fois avachis dans nos abris nous
assistons impuissants à ce nouveau feu d'artifice. Nous
comptabilisons touts les tirs observés et en quelques minutes, il y
a plus d'une vingtaine explosions d'obus de mortier ;
heureusement pour nous, assez loin de notre position mais
suffisamment près pour nous tenir en haleine. Je ressent une
certaine tension chez mes camarades. A peine deux jours sur zone et
la fatigue nerveuse se fait déjà ressentir désagréablement.
Certains commencent à réagir bizarrement aux ordres, un vent de
mutinerie soufflerait-il déjà ? Je ne pense pas, mais un peu
d'insolence et de rébellion vis à vis de l'encadrement, peut-être.
Tout le monde doit penser que ça va être très dur de tenir six
mois à ce rythme. En tant que chef d'équipe, j'essaye de trouver
des moyens de me faire respecter et de me faire obéir au plus vite,
sans avoir à donner trop d'explications. Je m'en sors pas trop mal,
les gars m'aiment bien et semble avoir plutôt confiance en moi. Mon
défaut serait que j'ai tendance à un peu trop copiner avec
eux. Du coup, c'est difficile après de garder de la distance au
moment de donner des ordres qui ne font pas toujours plaisir à
entendre. C'est l'armée, il faut obéir aux ordres. ...
Mais ce soir-là, même si la tension est palpable, il suffira de quelques blagues à deux balles pour détendre l'atmosphère. On plaisante sur l'idée que nous aussi on devrait faire une sieste l'après-midi, comme les bosniaques. Il faudrait avoir le même rythme d'activité qu'eux pour être en phase et mieux supporter tout les aléas qu'ils nous imposent. Pas sûr que l'adjudant soit d'accord...
Heureusement les tirs s'arrêtent, sans savoir pourquoi ni comment. Au bout d'un moment l'adjudant lève l'alerte et on peut quitter nos abris. On se retrouve dans la pièce principale pour un souper frugal car le cuisto du jour n'a pas eu le temps de fignoler son petit plat comme prévu. Une partie de cartes s'annonce. Le tarot et la belote ainsi que le jeu d'échecs auront un franc succès pendant tout le séjour. Ici pas de télévision. Quand le groupe électrogène fonctionne, ce qui ne sera pas toujours le cas, on a de l'électricité pour s'éclairer et recharger les batteries des radios et des I-L. Sinon le soir on s'éclairera à la bougie.
Mais ce soir-là, même si la tension est palpable, il suffira de quelques blagues à deux balles pour détendre l'atmosphère. On plaisante sur l'idée que nous aussi on devrait faire une sieste l'après-midi, comme les bosniaques. Il faudrait avoir le même rythme d'activité qu'eux pour être en phase et mieux supporter tout les aléas qu'ils nous imposent. Pas sûr que l'adjudant soit d'accord...
Heureusement les tirs s'arrêtent, sans savoir pourquoi ni comment. Au bout d'un moment l'adjudant lève l'alerte et on peut quitter nos abris. On se retrouve dans la pièce principale pour un souper frugal car le cuisto du jour n'a pas eu le temps de fignoler son petit plat comme prévu. Une partie de cartes s'annonce. Le tarot et la belote ainsi que le jeu d'échecs auront un franc succès pendant tout le séjour. Ici pas de télévision. Quand le groupe électrogène fonctionne, ce qui ne sera pas toujours le cas, on a de l'électricité pour s'éclairer et recharger les batteries des radios et des I-L. Sinon le soir on s'éclairera à la bougie.
1Abréviation communément utilisée pour Véhicule Blindé Léger
1Abréviation utilisée pour signifier Rien A Signaler.
2Remettre le gilet-pare-balles, le casque sur la tête, reprendre l'armement, les munitions et une radio par équipe
3Expression signifiant Toutes Armes, en référence aux manuels militaires qui expliquent la réglementation commune à toutes les Armes (Infanterie, Artillerie, Cavalerie etc..)
4Méthode empirique qui serait révolue aujourd'hui surtout dans l'Armée régulière
Illustration 1:
Explosions de mortiers près des positions de la FORPRONU
Illustration 2:
Interception de combattants
Illustration 3: Repli
d'un groupe de combattants
Illustration 5: Combattants en stand by
Evacuation de blessés par un Mi-8 |
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