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Mission
ravito à Sarajevo
Je
viens d'apprendre la nouvelle, demain j’escorte un convoi
logistique pour Sarajevo. Il est prévu de faire l'aller-retour dans
la journée. Départ 7 heures. Réveil 5 heures pour mon groupe. Tout
le monde est un peu stressé ce soir-là. C'est un peu l'inconnu pour
nous. En effet, on n'est pas revenu a Sarajevo depuis le jour de
notre arrivée, il y a maintenant presque deux semaines. Les
nouvelles de là-bas ne sont jamais très réjouissantes. Outre le
fait que les combats ne cessent pas, les incidents entre belligérants
et forces de l’Onu s'accumulent. Rien de réjouissant d'aller dans
cette ville. C'est la peur au ventre qu'on y va. Parce qu'on a pas le
choix et qu'il faut obéir aux ordres. Avec notre VAB, on doit
escorter deux camions de la compagnie. Tout cela pour assurer notre
ravitaillement en vivres mais aussi pour aller chercher du matériel
pour l'entretien de nos véhicules et récupérer de l'armement
supplémentaire et des munitions. Chaque semaine, au moins un convoi
de ravitaillement est organisé entre notre base compagnie sur
les Monts Igman et Tito barrack à Sarajevo. A tour de rôle les
sections de combat fournissent l'escorte nécessaire et indispensable
pour assurer la sécurité du convoi. Demain c'est nous qui y allons.
Je suis tout de même un peu excité par cette mission, d'autant que
je vais piloter moi-même le VAB. Je suis souvent désigné pour
piloter aux cours des missions sensibles car je m'en sors mieux que
mes camarades pour réussir les manœuvres délicates au volant de ce
fichu VAB. J'ai un avantage de taille, presque un sixième sens. Ce
n'est pas ma vue car je porte des lunettes. Mais j'ai grandi à la
ferme de mes grands-parents et je sais conduire les tracteurs depuis
mon adolescence. Ici c'est une expérience qui compte. On se déplace
très souvent sur des pistes boueuses et il faut que le pilote du VAB
sente précisément les réactions du véhicule blindé qui évolue
sur ces éléments particulièrement gluants, visqueux et surtout
glissants. Il faut un certain sens de l’anticipation et un savoir
faire qui ne s’acquière que par une longue pratique de ce genre de
situation. Un peu comme lorsqu’on laboure un champs. Les incidents
se multiplient. Et presque tout les jours on entend parler du VAB
d’une autre section qui s'est embourbé dans le fossé d'une piste.
A chaque fois il faut mobiliser des moyens exceptionnels pour le
sortir de ce mauvais pas, c’est-à-dire dépanneuse avec treuil,
etc… Autant dire que cela ne fait pas plaisir au commandement.
Alors quand il y a des bons pilotes, on les sollicite mais surtout on
les bichonne, ils prennent moins de tours de garde et ils ont le
privilège de pouvoir dormir un peu plus. A plusieurs reprises j'ai
fait la démonstration de mes talents de conducteur dans des
situations qui en ont terrorisé plus d'un. Ici ce n'est pas la
vitesse qui impressionne car on se déplace souvent lentement sur ces
pistes boueuses et chaotiques. C'est le sang froid et la maîtrise du
pilote qui priment. Parfois ces pistes de montagne frôlent des
ravins et des précipices où la moindre erreur d’appréciation
peut être fatale. Nous en ferons la triste expérience. Il y a
toutefois un avantage non négligeable à aller à Tito barracks, il
parait qu’on peut y prendre une vraie douche. En effet, depuis
notre arrivée sur les Monts Igman, l’hygiène corporelle est un
problème considérable. Il n'y a pas de sanitaires dignes de ce nom
dans notre zone. Tout juste une douche de campagne improvisée sous
la tente militaire de notre poste section. Pas d'eau chaude, à moins
d'avoir l'autorisation de l’adjudant d'en faire chauffer un peu, ce
qui est rarement possible par manque de temps ou à cause des
imprévus. Plusieurs fois j'ai tenté de me laver correctement mais
cela a été compliqué. Souvent il fait très froid le soir et se
laver à l'eau glacée c'est pas évident quand on a pas l'habitude.
Avec la fatigue qui s’accumule, on est vite découragé. En journée
la température est souvent meilleure mais on a pas le temps car on a
toujours quelques choses d'important à faire et il y a toujours
cette menace des tirs et des alertes qui nous obligent à être en
permanence sur le qui-vive prêts a réagir. Pas question d’être
en slip au moment d'une alerte. Quoiqu'il me semble l'avoir déjà
vu. On ne traine jamais longtemps pour faire sa toilette sous
la tente. Souvent les gars ressortent rapidement en grelottant. Dans
le même style, les feuillets ne brillent pas par le propreté.
Heureusement que le froid et le gel ont tendance à tout figer, même
les odeurs. Finalement on commence à s'habituer à notre crasse et
aux mauvaises odeurs. Les cheveux poussent vite aussi et pas le temps
de se shampouiner et de faire un broching. Certains sont adeptes pour
se raser radicalement le crâne. L’adjudant est formellement
contre. Des tensions s'installent à ce sujet. De plus, le commandant
d’unité a donné l'ordre que nous devions tous nous laisser
pousser la moustache. Sans doute pour essayer d'intimider les
combattants qui nous entourent. Je doute qui leur en faille un peu
plus. J’hésite à obéir à cet ordre. Je finirai par m'y résigner
peu à peu.
A
l'aube d'une journée d'automne grisâtre sur les Monts Igman, nous
voilà en route pour Sarajevo. L' adjudant d’unité de la section
de commandement de la compagnie est en charge du convoi. C'est un
grand costaud un peu patibulaire, plutôt réservé mais assez
sympathique. Nous avons perçu un complément de munitions
individuelles. Sur notre VAB on a monté une mitrailleuse de 12,7mm
et un de nos gars est prédisposé à sa mise en œuvre en cas de
nécessité. Nous n'avons pas oublié non plus chacun notre trousse
de toilette ainsi qu’une serviette dans la perspective d'une douche
purificatrice, le tout soigneusement mis au fond de notre musette
avec notre repas froid prévu pour midi. Nous faisons en sens inverse
le trajet emprunté quinze jours plus tôt pour nous rendre sur nos
positions. Les virages dangereux s'enchainent sur la route défoncée.
Nous franchissons le check-point de Babindol et saluons au passage
nos confrères de la compagnie du génie qui sont en charge de ce
poste de contrôle. Bizarrement, tout semble assez calme. Nous filons
ensuite vers Sarajevo où rien n'a changé. Les premiers faubourgs
sont toujours en ruine comme tout les immeubles à perte de vue.
Cette ville transpire la mort, la peur et l'angoisse. Tout n'y est
plus que désolation. Nous empruntons à vive allure « sniper
avenue », avenue lugubre et tristement célèbre désormais
dans le monde entier. En effet, bons nombres de tireurs embusqués
dans ce qui reste des immeubles environnants ont bien faits parler
d'eux en tirant régulièrement sur des passants ou même des casques
bleus, tuant au petit bonheur la chance. Ici, à chaque instant la
mort peut frapper aveuglement. A l'abri dans nos VAB on se sent un
peu plus en sécurité, certainement un peu moins pour ceux qui sont
dans les camions que l'on escorte car ils ne sont pas blindés. Un
tir de sniper bien ajusté et adieu le conducteur ou son chef de
bord. Après, si on nous tire dessus au lance roquette anti-char, on
a peu de chance d'en réchapper, même dans le VAB. On finit tous
griller comme des merguez. Y aura plus qu’à renvoyer ce qui
restera de nos dépouilles à nos familles en France. Heureusement
pour cette fois-ci, nous nous présentons sains et saufs aux abords
du quartier général de Tito barracks. Quelques centaines de mètres
avant l'entrée et le poste de sécurité, nous distinguons sur des
parkings divers types de véhicules militaires d'origines diverses
tous repeints en blanc et estampillés UN. Au bord de la route, il y
a même un BTR 70, véhicule blindé de transport de troupe russe, au
design élancé bien caractéristique . C'est une première de voir
un tel engin d'aussi prêt. Finalement c'est avec soulagement que
nous pénétrons dans l'enceinte de Tito barracks. Nous y sommes
toujours plus en sécurité qu'ailleurs dans la région. Quoique, un
bon tir d'artillerie ou de mortier pourrait y faire de sérieux
dégâts. N'y pensons pas. Ces bâtiments militaires de l’ex-armée
fédérale de Yougoslavie qui portent le nom de son ancien chef
d’État Tito, sont désormais le siège de la FORPRONU à Sarajevo.
La sécurité est censée y être assurée au maximum. Nous
découvrons les lieux avec un grand intérêt. Avant la douche dont
tout le monde parle avec frénésie, l'adjudant a des choses
importantes à faire. Tout le reste de la matinée nous devons
charger du ravitaillement dans un des camions, ensuite il faut aller
percevoir divers matériels pour la maintenance des VAB ainsi que de
l'armement. Une fois que le travail est fait et que nous sommes prêts
à repartir, nous disposons de deux petites heures de quartier libre
dans Tito barracks. Quel luxe ! Après que l'adjudant nous ait
montré le bâtiment prévu à cet effet, et après avoir désignées
deux sentinelles pour garder nos véhicules, nous fonçons droit vers
la douche. Quel bonheur de pouvoir enfin se laver à l'eau chaude,
même tiède. Dans les douches c'est l'excitation générale. C'est
la première fois que l'on se marre autant depuis notre arrivée en
Bosnie. Certains chantent, d’autres chahutent. L'adjudant est même
obligé de pousser une gueulante pour calmer un peu tout le monde. On
est pas en colonie de vacances ici. Une fois bien récurés et
propres comme le jour de notre première communion, nous partons en
quête du foyer de Tito barracks, réputé pour son achalandage et
son grand choix en articles divers et variés. Il faut préciser que
dans toutes les unités militaires de France et de Navarre, le foyer
est le lieu de détente par excellence dans l’enceinte même de
l’unité pour les militaires du rang. On peut y acheter des
cigarettes, des boissons et divers petits articles nécessaires à la
vie courante. Il y a souvent un bar et des jeux. Selon l'importance
et la taille de l’unité, son foyer peut être plus ou moins
imposant. Je me souviens de mon ancien régiment à Sarrebourg dans
l’Est de la France, qui était immense, plus de 1200 hommes. Son
foyer était à la mesure des besoins. Il y avait un bar digne de
Chicago, avec bière à la pression, certains s'y sont rendus
malades… Mais aujourd'hui, pas question de boire d'alcool, c'est
formellement interdit car nous devons reprendre la route pour les
Monts Igman en fin d’après-midi. Tout le monde doit avoir les
idées claires, surtout en cas d'accrochage ou d'incident. Deux
d'entre-nous déjà douchés remplacent les deux sentinelles qui
peuvent aller se doucher à leur tour. Ils seront remplacés dans un
moment pour pouvoir aller faire des achats au foyer. Après divers
détours entre plusieurs bâtiments nous découvrons enfin l’entrée
de ce mystérieux foyer. En fait il est tout petit et je suis un peu
déçu. On y trouve quand même un grand choix de cigarettes et on
peut faire le plein de paquets de Marlboro rouge, très recherchés
sur Igman. Bizarrement ce foyer est situé à une des extrémités de
l'enceinte militaire. A quelques mètres se trouve un mur couvert de
plusieurs rangées de concertina afin d’empêcher l’accès aux
intrus en provenance de l’extérieur. A ma grande stupéfaction,
derrière ces barbelés il y a une bonne dizaines d'enfants en
guenilles qui nous tendent leurs petites mains sales en scandant avec
un fort accent étranger « bonbons, bonbons ». Ce sont
des petits bosniaques, victimes de cette guerre, ils sont réduits à
venir mendier là où il y a quelques choses à prendre, c’est-à-dire
aux abords des camps militaires de l'ONU. Ils sont maigres et mal
habillés. Les traits de leur visages sont tirés, leurs yeux
hagards. Stigmates des souffrances qu'ils endurent. Sans doute
sont-ils orphelins ? Qui sait ? Affamés, inlassablement
ils tendent leurs petites mains au travers des barbelés en répétant
« bonbons, bonbons », un des seuls mots de français
qu'ils connaissent. Je suis prostré devant cette scène aussi
surréaliste que tout ce que nous vivons ici au quotidien. C'est la
première fois que je côtoie la misère humaine d'aussi prêt. Cette
vision d'enfants derrière des barbelés, les mains tendus pour
demander secours, a des relents de camp de concentration, à la
différence que la prison est dehors ici. L’émotion me submerge,
ces enfants dans le malheur, à moins qu'ils ne jouent la comédie.
Cela n'est pas pensable. Au loin, une rafale d'arme automatique
raisonne et me ramène à la dur réalité. Le cœur serré, je
retourne au comptoir du foyer et j’achète une bonne dizaine de
paquets de Twix, mes barres chocolatées préférées. Dehors, je
m'approche au plus près des barbelés, au plus prés de ces enfants,
qui semblent un instant devenir heureux en me voyant approcher avec
quelques choses à leur donner. Avec le plus de délicatesse possible
je leur lance les Twix, pour ne pas avoir l'impression de jeter de la
nourriture à des fauves en cage, mais de donner quelques choses à
d’autres êtres humains. Ils se battent presque pour récupérer le
butin mais au final ils ont tous au moins chacun un paquet dans leurs
mains. Ils s'apaisent un instant. Tout en commençant à dévorer
leurs barres chocolatées et en me regardant avec un sourire à peine
perceptible, ils prononcent avec leur accent des « merci »
qui me bouleversent profondément. Des tirs d’armes automatiques
continuent à se faire entendre dans le lointain, nous rappelant sans
répit l’existence de cette guerre. Le cœur déchiré et les
larmes aux yeux, je leur fais un petit signe de la main. Je les
regarde un dernier instant avant de m'en aller. Après avoir fait
quelques pas, je me retourne une dernière fois. Des idées
terrifiantes me traversent l'esprit. Peut-être que ces enfants
seront morts bientôt, demain ou dans quelques semaines, morts de
faim ou de froid ou alors sous les balles, ou pire encore dans des
souffrances atroces, victimes de salopards pervers. J’aurais ainsi
croiser leur terrible destin pendant cette courte rencontre, je leur
aurais sans doute un peu réchauffé le cœur en leur offrant ces
quelques friandises, je leur aurais donné un peu d'espoir et de
réconfort dans leur grand malheur. Peut-être se souviendront - ils
de ce petit moment de bonheur s'ils survivent à cette horrible
guerre. Mes camarades semblent aussi être bouleversé par ces
enfants mais chacun dissimule son effroi. Emus, nous retournons aux
véhicules car l'heure du départ approche. Le chemin du retour se
passe sans encombre et nous retrouvons notre poste section à la nuit
tombée, content d'avoir survécus à cette mission. Quand on ne se
fait pas tirer dessus, tout parait beaucoup plus simple. Je repense à
ces enfants, à peine plus âgés que mes propres filles. Que
vont-ils devenir dans cet enfer ? Quel avenir ont-ils ? Je
retournerais plusieurs fois en mission à Tito barracks au cours des
opérations pendant notre mandat mais jamais je ne reverrai ces
enfants. Je ne saurai jamais ce qu'ils sont devenus dans l'enfer de
Sarajevo. Le train-train du quotidien reprend son cours dans notre
poste section. On fume de plus en plus de cigarettes. Mon stock de
Marlboro rouge fond comme neige au soleil. J'ai refilé quelques
paquets aux copains. Nous pratiquons des échanges de bons procédés
entre nous. De même, nous avons tendance à consommer de plus en
plus d'alcool. L’adjudant a vu venir l'affaire. Il tente d’imposer
des règles. Nous devons nous limiter à un verre de vin en mangeant
et à une ou deux bières le soir. Ce n'est pas toujours facile à
respecter. Tout dépend des circonstances et de l'ambiance du moment.
Un beau matin, un vieux bosniaque se présente à l’entrée du
poste. Il n'a pas très fier allure. Il est très maigre, mal rasé
et porte une vieille redingote bien usée. Il ne semble pas armé. En
tout cas , il n'a pas de Kalach. A y regarder de plus près, il a
bien un vieux flingue à la ceinture qu'il trimbale comme John Wayne.
Nous engageons la discussion avec lui mais c'est très difficile car
nous ne comprenons rien à ce qu'il nous raconte en bosniaque et ce
n'est pas mieux en anglais. Il n'a presque plus de dents et il parle
très difficilement. Ce que c'est de devenir vieux ! De plus,
notre interprète n'est pas là. Et puis voilà qu'il sort de sa
veste une bouteille de gnôle et qu'il se montre plus insistant à
vouloir partager quelque chose avec nous. Par politesse, nous le
laissons rentrer dans notre poste. Très vite nous comprenons ce qui
l’intéresse. Non seulement il insiste pour que nous goûtions sa
gnôle mais il veut nous échanger sa bouteille contre de la
nourriture et des cigarettes. Nous goûtons son produit qui est
vraiment une boisson d’homme ! Ça nous fait direct un trou
dans l'estomac. Même si cet alcool local est abominablement fort,
nous acceptons le marché. Après quelques tractations, au final, cet
ancien repart avec quelques paquets de clopes ainsi qu’un sac
rempli de friandises et d'aliments divers qui ne devraient pas trop
nous faire défaut, vu que l'on est relativement bien ravitaillé. Il
a l'air très satisfait et nous prodigue ses adieux en bosniaque très
chaleureusement. Nous voilà désormais dotés d'une bouteille de
gnôle locale pour la goutte avec le café. Cela ne va pas arranger
les choses, ni notre santé. L'adjudant fait les gros yeux mais il ne
confisque pas la bouteille. Elle est placée religieusement sur une
étagère comme un trophée de guerre. Faudra suivre de près la
descente du niveau de la gnôle à l’intérieur. Je n'ai pas
souvenir qu'elle est fait de vieux os. Toutefois, nous sommes tous
d’accord pour admettre une chose. Le fait d’avoir accepté de
faire du troc avec ce vieux messieur bosniaque va certainement ce
savoir dans les environs, au moins dans les rangs bosniaques, ce qui
nous permettra d’être mieux vu de ce côté là. Mais aussi
d’éviter de se prendre une balle en pleine tête. En effet, si
nous avions renvoyé balader ce visiteur, peut-être que cela aurait
fortement déplu, déjà que l’on est pas trop aimé dans le coin.
Du coup, une fois ajusté dans la lunette d’un tireur d’élite,
certains d’entre nous l’aurait payé très cher sans comprendre
pourquoi. Et je suis convaincu que certains des casques bleus pris
pour cible par des snipers l’ont été par vengeance du fait de
mauvais comportements ou de mauvaises paroles de la part de certains
sur place. Nous ne sommes pas chez nous et il est extrêmement risqué
d’envoyer balader qui que ce soit, au risque de représailles
sanglantes, surtout en Bosnie. Une fois planqué à des centaines de
mètres, il est facile pour un sniper de se faire justice lui-même
ou pour quelqu un d autre, d autant que dans une bonne lunette de tir
on peut reconnaître les visages de ceux qui ont mal parlé ou ce
sont mal comporté envers un compatriote. Sans doute est- ce là une
des explications plausibles à touts les tirs de sniper visant des
casques bleus à Sarajevo. Certainement pas la seule. Ce jour-là,
nous avons fait une bonne action et surtout un bon investissement
pour notre assurance-vie dans le secteur, sans doute serons-nous
moins en ligne de mire. Une des clés pour assurer sa survie ici,
c’est sans aucun doute la politesse et la diplomatie envers les
bosniaques. Mes cheveux ont poussé et ça me gratte. Finalement un
après-midi, je me fais raser le crâne contrairement à la consigne
de l’adjudant. Nous avons une tondeuse à cet effet et il est très
facile de retirer le sabot pour faire une boule à zéro. Le soir
même, au moment de passer à table, c'est le cœur battant que je me
découvre la tête devant l'adjudant. Il me fustige du regard mais ne
dis rien. A partir de ce moment, nos relations vont être tendues.
Les autres gars de la section reconnaissent mon courage et certains
font de même quelques jours plus tard, ce qui ne fait qu'en rajouter
à la colère sourde de l'adjudant. Quelque part je suis convaincu
d'avoir raison, ici il n'y a pas moyen de se laver correctement et
les cheveux qui grattent en permanence c'est plus qu’insupportable.
Cette petite rébellion me suivra très longtemps, même plusieurs
mois après notre retour en France. Et malgré mes bons états de
services pendant cette mission, l’adjudant ne me le pardonnera
jamais.
Sarajevo - automne 1994 |
Tour de contrôle de l'aéroport de Sarajevo |
BTR 70 |
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