Rappelez-vous
Sarajevo
Bosnie-Herzégovine
1992-1996
« Sarajevo :
Une ville martyr, assiégée pendant 4 ans. Le siège militaire le
plus long de l'histoire de la guerre moderne et le plus meurtrier
après Leningrad. La Guerre de Bosnie : Une Guerre génocidaire
avec des milliers de morts et de mutilés parmi la population. Une
guerre civile qui frappe des innocents, des enfants, des femmes, des
vieillards. Un nationalisme et un intégrisme exacerbés qui
entraînent la Bosnie dans la spirale infernale de la guerre. Des
tirs aveugles. Des carnages. Accumulations d'horreur. Confusion. La puanteur des ténèbres.
Sabotage des négociations. Mafias de trafics d'armes. Il n'y a pas
de mot pour décrire l'horreur. C'est pire que la deuxième guerre
mondiale, le voisin tue le voisin, on a rien à manger, c'est tout.
Une ville comme Grenoble transformée en champ de bataille. A 2h00
d'avion de Paris au centre de l'Europe. Quitter cette ville et
trouver refuge ailleurs, on ne peut plus être heureux à Sarajevo.
Folie meurtrière des hommes. Quelle connerie la guerre. En hommage à
ma vieille mère qui m'a reproché bien souvent d'avoir changé en
mal depuis que j'avais fait, selon son expression, la ¨Guerre de
Sarajevo¨. Je n'ai pas fait cette guerre, je l'ai vu de très prés,
je l'ai subie. Alors pour que rien ne soit oublié de toutes ces
souffrances, aussi bien pour les soldats des Nations-Unies, leurs
familles, leurs proches et surtout les civils bosniaques et serbes,
je me décide à écrire ce que j'ai vécu avec mes camarades, là-bas
sur les Monts Igman en Bosnie-Herzégovine du 21 septembre 1994 au 3
avril 1995, il y a maintenant plus de 20 ans. Seuls les écrits
restent. Un tel projet induit beaucoup de réflexions et de
préoccupations afin d'éviter de blesser les sensibilités de touts
bords. La communauté internationale intervient en Ex-Yougoslavie
mais tarde à se donner les moyens suffisants pour faire cesser le
conflit sanglant qui oppose les bosniaques aux serbes en
Bosnie-Herzégovine....
Les
militaires français envoyés à Sarajevo sous l'égide des
Nations-Unies à partir de l'année 1992 se trouvent immédiatement
sous les tirs croisés des combattants serbes et bosniaques ainsi que
des snipers1.
Sur place, leurs moyens insuffisants rendent impossible
l'accomplissement de leur mission de maintien de la paix face à la
détermination des belligérants. Tout juste s'ils réussissent la
mise en place d'un corridor humanitaire pour désenclaver la ville et
aider les survivants de la population civile. Observateurs
impuissants qui exposent leur vie de façon aléatoire au coeur de
cette guerre. En septembre 1994 notre unité est envoyée sur les
Monts Igman dans le secteur de Sarajevo pour contrôler une zone très
vaste au cœur d'un massif de moyenne montagne. A l'Ouest il y a les
positions des combattants bosniaques et à l'Est, celles des serbes
(voir croquis de la situation stratégique); notre mission est de
surveiller cette zone et de rendre compte au commandement de toutes
actions des deux camps. Autant dire que nous sommes malvenus car les
belligérants acceptent froidement notre présence et notre
interférence dans leurs opérations de combat. La population civile
a disparue des petits villages de montagne, seuls les combattants des
deux bords se font face. Nous nous trouvons dans un No man's land
2
entre les deux camps qui se livrent une guerre sans merci, à coup de
tirs de mortiers et d'armes automatiques, et d'opérations commando à
travers la zone que nous devons contrôler. Pendant
presque deux mois, du 21 septembre jusqu'à la mi-novembre 1994 date
d'arrivée des premières tempêtes de neige et du grand froid,
chaque journée dans cette zone sera ponctuée d'incidents plus ou
moins graves. Chaque jour, chaque nuit, il y aura des tirs de toutes
sortes, snipers, rafales d'armes automatiques petit et gros calibre
et surtout des tirs de mortiers, avec le sifflement caractéristique
des obus passant au dessus de nos têtes sans savoir où ils vont
tomber exactement avant leur explosion, soit sur des positions de
combat, soit à proximité de nos postes d'observation. Nous devons
patrouiller et tenter des interceptions mal aisées dans ces
montagnes ainsi que rendre compte en permanence de tout ce qui se
passe, sans prise de risque inutile et en se protégeant le plus
efficacement possible pour éviter des pertes humaines dans nos
rangs. A partir de novembre 1994, on peut dire que l'armée bosniaque
très active et efficace a réussie à contourner
ou (disons le franchement) à traverser
la zone que nous devions contrôler. De ce fait, le front des combats
avec l'armée serbe s'est décalé vers l'Est et nous ne sommes plus
au centre des hostilités. C'est alors que l'hiver déposera
peu à peu son grand manteau blanc à coups de tempêtes dantesques.
La neige et le froid calmeront les ardeurs des combattants. Il va
s'en suivre une longue période d'accalmie pour notre unité,
ponctuée par la routine des tours de garde, des patrouilles à ski
et des ouvertures de pistes dans la neige pour garder les liaisons
entre les postes d'observations et le commandement de la FORPRONU3
à Sarajevo. Avec le retour du printemps en mars 1995,
les armes se réveillent et les hostilités reprennent.
1Tireur d'élite isolé embusqué qui sème la terreur en tuant n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, sans avertissement .
1Tireur d'élite isolé embusqué qui sème la terreur en tuant n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, sans avertissement .
2Zone inhabitée
3Force de Protection de l'Organisation des Nations-Unies
Illustration 1:
Croquis de notre situation stratégique sur les Monts Igman fin
septembre 1994
L'État
français a fait des gestes significatifs de reconnaissance envers
tous ses soldats ayant accomplis des services en opérations
extérieures y compris les opérations de maintien de la paix sous
l'égide de l'Organisation des Nations-Unies. Si un temps, ils ont
pu croire être tombé dans l'oubli, il semblerait qu'il n'en est
rien, sans aucun doute doivent-ils dire un grand merci aux
Associations d'anciens combattants et victimes de guerre qui œuvrent
sans relâche auprès des ministères pour cette reconnaissance ainsi
qu'au travail de recherche du service historique des armées. Durant
4 ans, entre 1992 et 1996, de très nombreux militaires français
ainsi que d'autres nations, ont servi à tour de rôle et pendant de
longs mois sous l'égide de la Forpronu au coeur des guerres de
Yougoslavie. Ils ont, pour la plupart, tous été témoins des
horreurs de cette guerre et ont subi un niveau de stress
particulièrement destructeur. Certains y ont laissé leur vie,
d'autres leur âme. N'oublions jamais que 1161
militaires français sont morts pendant les opérations en
Ex-Yougoslavie et qu'il y a eu plus de 7002
blessés. Que ces disparitions ne soient pas vaines ainsi que toutes
ces souffrances, car ces hommes ont tous servis au péril de leur vie
pour la difficile et noble cause « de la tentative » du
maintien de la paix en Europe et dans le monde. L'impact des
traumatismes psychologiques engendrés pour certains demeurent, à
mon sens, un réel problème de santé public, autant pour eux que
pour leurs proches.
Le
14 mars 1995, quelques jours avant la fin de notre mission et notre
retour en France, neuf soldats de notre bataillon perdent la vie dans
un terrifiant accident sur la route des Monts Igman dans le secteur
de Sarajevo.
Que
leurs mémoires demeurent à jamais dans nos esprits.
1Selon les sources les chiffres peuvent varier
2Idem 1
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