dimanche 1 mai 2016

Préface

Rappelez-vous
Sarajevo
Bosnie-Herzégovine
1992-1996
« Sarajevo : Une ville martyr, assiégée pendant 4 ans. Le siège militaire le plus long de l'histoire de la guerre moderne et le plus meurtrier après Leningrad. La Guerre de Bosnie : Une Guerre génocidaire avec des milliers de morts et de mutilés parmi la population. Une guerre civile qui frappe des innocents, des enfants, des femmes, des vieillards. Un nationalisme et un intégrisme exacerbés qui entraînent la Bosnie dans la spirale infernale de la guerre. Des tirs aveugles. Des carnages. Accumulations d'horreur. Confusion. La puanteur des ténèbres. Sabotage des négociations. Mafias de trafics d'armes. Il n'y a pas de mot pour décrire l'horreur. C'est pire que la deuxième guerre mondiale, le voisin tue le voisin, on a rien à manger, c'est tout. Une ville comme Grenoble transformée en champ de bataille. A 2h00 d'avion de Paris au centre de l'Europe. Quitter cette ville et trouver refuge ailleurs, on ne peut plus être heureux à Sarajevo. Folie meurtrière des hommes. Quelle connerie la guerre. En hommage à ma vieille mère qui m'a reproché bien souvent d'avoir changé en mal depuis que j'avais fait, selon son expression, la ¨Guerre de Sarajevo¨. Je n'ai pas fait cette guerre, je l'ai vu de très prés, je l'ai subie. Alors pour que rien ne soit oublié de toutes ces souffrances, aussi bien pour les soldats des Nations-Unies, leurs familles, leurs proches et surtout les civils bosniaques et serbes, je me décide à écrire ce que j'ai vécu avec mes camarades, là-bas sur les Monts Igman en Bosnie-Herzégovine du 21 septembre 1994 au 3 avril 1995, il y a maintenant plus de 20 ans. Seuls les écrits restent. Un tel projet induit beaucoup de réflexions et de préoccupations afin d'éviter de blesser les sensibilités de touts bords. La communauté internationale intervient en Ex-Yougoslavie mais tarde à se donner les moyens suffisants pour faire cesser le conflit sanglant qui oppose les bosniaques aux serbes en Bosnie-Herzégovine.... 
Les militaires français envoyés à Sarajevo sous l'égide des Nations-Unies à partir de l'année 1992 se trouvent immédiatement sous les tirs croisés des combattants serbes et bosniaques ainsi que des snipers1. Sur place, leurs moyens insuffisants rendent impossible l'accomplissement de leur mission de maintien de la paix face à la détermination des belligérants. Tout juste s'ils réussissent la mise en place d'un corridor humanitaire pour désenclaver la ville et aider les survivants de la population civile. Observateurs impuissants qui exposent leur vie de façon aléatoire au coeur de cette guerre. En septembre 1994 notre unité est envoyée sur les Monts Igman dans le secteur de Sarajevo pour contrôler une zone très vaste au cœur d'un massif de moyenne montagne. A l'Ouest il y a les positions des combattants bosniaques et à l'Est, celles des serbes (voir croquis de la situation stratégique); notre mission est de surveiller cette zone et de rendre compte au commandement de toutes actions des deux camps. Autant dire que nous sommes malvenus car les belligérants acceptent froidement notre présence et notre interférence dans leurs opérations de combat. La population civile a disparue des petits villages de montagne, seuls les combattants des deux bords se font face. Nous nous trouvons dans un No man's land 2  entre les deux camps qui se livrent une guerre sans merci, à coup de tirs de mortiers et d'armes automatiques, et d'opérations commando à travers la zone que nous devons contrôler. Pendant presque deux mois, du 21 septembre jusqu'à la mi-novembre 1994 date d'arrivée des premières tempêtes de neige et du grand froid, chaque journée dans cette zone sera ponctuée d'incidents plus ou moins graves. Chaque jour, chaque nuit, il y aura des tirs de toutes sortes, snipers, rafales d'armes automatiques petit et gros calibre et surtout des tirs de mortiers, avec le sifflement caractéristique des obus passant au dessus de nos têtes sans savoir où ils vont tomber exactement avant leur explosion, soit sur des positions de combat, soit à proximité de nos postes d'observation. Nous devons patrouiller et tenter des interceptions mal aisées dans ces montagnes ainsi que rendre compte en permanence de tout ce qui se passe, sans prise de risque inutile et en se protégeant le plus efficacement possible pour éviter des pertes humaines dans nos rangs. A partir de novembre 1994, on peut dire que l'armée bosniaque très active et efficace a réussie à contourner ou (disons le franchement) à traverser la zone que nous devions contrôler. De ce fait, le front des combats avec l'armée serbe s'est décalé vers l'Est et nous ne sommes plus au centre des hostilités. C'est alors que l'hiver déposera peu à peu son grand manteau blanc à coups de tempêtes dantesques. La neige et le froid calmeront les ardeurs des combattants. Il va s'en suivre une longue période d'accalmie pour notre unité, ponctuée par la routine des tours de garde, des patrouilles à ski et des ouvertures de pistes dans la neige pour garder les liaisons entre les postes d'observations et le commandement de la FORPRONU3 à Sarajevo. Avec le retour du printemps en mars 1995, les armes se réveillent et les hostilités reprennent.

1Tireur d'élite isolé embusqué qui sème la terreur en tuant n'importe  qui, n'importe où, n'importe quand, sans avertissement .
2Zone inhabitée
3Force de Protection de l'Organisation des Nations-Unies



Illustration 1: Croquis de notre situation stratégique sur les Monts Igman fin septembre 1994







L'État français a fait des gestes significatifs de reconnaissance envers tous ses soldats ayant accomplis des services en opérations extérieures y compris les opérations de maintien de la paix sous l'égide de l'Organisation des Nations-Unies. Si un temps, ils ont pu croire être tombé dans l'oubli, il semblerait qu'il n'en est rien, sans aucun doute doivent-ils dire un grand merci aux Associations d'anciens combattants et victimes de guerre qui œuvrent sans relâche auprès des ministères pour cette reconnaissance ainsi qu'au travail de recherche du service historique des armées. Durant 4 ans, entre 1992 et 1996, de très nombreux militaires français ainsi que d'autres nations, ont servi à tour de rôle et pendant de longs mois sous l'égide de la Forpronu au coeur des guerres de Yougoslavie. Ils ont, pour la plupart, tous été témoins des horreurs de cette guerre et ont subi un niveau de stress particulièrement destructeur. Certains y ont laissé leur vie, d'autres leur âme. N'oublions jamais que 1161 militaires français sont morts pendant les opérations en Ex-Yougoslavie et qu'il y a eu plus de 7002 blessés. Que ces disparitions ne soient pas vaines ainsi que toutes ces souffrances, car ces hommes ont tous servis au péril de leur vie pour la difficile et noble cause « de la tentative » du maintien de la paix en Europe et dans le monde. L'impact des traumatismes psychologiques engendrés pour certains demeurent, à mon sens, un réel problème de santé public, autant pour eux que pour leurs proches.
Le 14 mars 1995, quelques jours avant la fin de notre mission et notre retour en France, neuf soldats de notre bataillon perdent la vie dans un terrifiant accident sur la route des Monts Igman dans le secteur de Sarajevo.
Que leurs mémoires demeurent à jamais dans nos esprits.


1Selon les sources les chiffres peuvent varier
2Idem 1






Illustration 2: Photo d'un combattant adossé à un VBL de la Forpronu, prise en octobre 1994 sur les Monts Igman dans le secteur de Sarajevo

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