dimanche 1 mai 2016

Chapitre 6

6

Le jour J et les grandes opérations


Les journées s'enchaînent sur les Monts Igman et les combats s'intensifient autour de nos positions mais heureusement à assez bonne distance. Nous sommes condamnés à observer passivement tout ce qui se passe dans ces montagnes. L´armée bosniaque se montre particulièrement offensive contre les serbes. Ses combattants cherchent par touts les moyens à contourner ou à traverser la zone ONU que nous devons contrôler, afin de faire reculer l´armée serbe. Chaque jour il se passe quelque chose sur le plan tactique et stratégique. On constate que l'armée bosniaque est très active avec le peu de moyens qu'elle possède. Elle a l'initiative des opérations et toujours un coup d'avance sur ses ennemis. Ses hommes semblent redoutables et efficaces au combat. Ceux que nous voyons fréquemment se déplacent par petits groupes. Presque toujours les mêmes personnes. Ils ont un look d'enfer, pas du tout conventionnel par rapport à ce à quoi ressemblent les soldats d'une armée classique. On dirait des guérilleros. Leurs tenues sont disparates. Certains portent une casquette américaine, d'autres un béret noir ou encore un casque lourd. Il y a un grand maigre qui défraie la chronique par son allure presque comique avec un espèce de vieux casque positionné tout en arrière sur sa tête. De loin il nous fait bien rire mais de près beaucoup moins. La seule constante c'est le port de l'éternelle Kalachnikov. Il y a aussi un grand costaud barbu portant un béret noir qui trimbale toujours sur son épaule un fusil McMillan. L'arme absolue, une machine à tuer, bien sûr de fabrication américaine. Avec une telle arme et sa lunette, à 2000 mètre un tireur d'élite peut mettre une balle de 7,62mm dans une pièce de monnaie... Autant dire qu'avec de tel outil, les snipers ont la vie belle en Bosnie. Et nous, on a qu'à bien se tenir si on veut rester vivant. Parfois c'est un profond sentiment de vulnérabilité et de malaise qui m'anime face aux événements qui nous entourent. De notre poste et du fait des nombreux mouvements de terrain, on voit rarement exactement ce qui se passe pendant les attaques, mais au bruit assourdissant des explosions d'obus de mortiers et des détonations des rafales de tirs à l'arme automatique, on imagine sans peine la violence des combats. Il est inconcevable de penser une seconde à s'interposer dans ses combats sans envisager de lourdes pertes humaines dans nos rangs. Je suis certain que l'on n'est pas préparé à cela et que l'on n'est pas à la hauteur des événements. Les commandos bosniaques s'infiltrent toujours la nuit et ils sont quasiment indécelables jusqu'au début des assauts qu'ils mènent inlassablement contre les positions serbes dés le lever du jour. On les aperçoit quand ils sont dans l'obligation de se replier, le plus souvent avec des blessés graves. En ce mois d'octobre 1994, c'est le chaos sur les Monts Igman. Tout contrôle des événements semble nous échapper. Parachutés au milieu de ce bazar, soit-disant soldats de la paix, nous nous sentons de plus en plus petits, impuissants et inutiles parmi ces guerriers bosniaques dotés d'une violence inouïe, qui veulent à tout prix gagner cette guerre contre les serbes. On ne serait pas là, ça ne changerait pas grand chose. Comme le dit le capitaine, pour contrôler cette zone, ce n'est pas une compagnie qu'il faut, mais un bataillon entier... Notre poste section est relativement excentré par rapport aux points stratégiques de la zone, aussi nous en entendons plus que nous en voyons réellement. Quelque part nous sommes de facto un peu plus protégés. Apparemment il n'en est pas de même pour les postes des autres sections qui sont beaucoup plus exposés. Des incidents plus ou moins graves surviennent lorsque nos groupes tentent de s'interposer. En effet, on apprend qu'un sergent avec son groupe a reçu l'ordre d'interdire l'accès d'une piste à des soldats bosniaques. La tension est alors monté d'un cran. Nos camarades se sont interposés physiquement. Les soldats bosniaques ont alors débarqué avec un vieux char russe T54. Il a fallu essayer de lui barrer le passage avec un VAB. Cause perdue d'avance pour nous. Sur ordre du capitaine, nos collègues n'ont pas lâché l'affaire. Un chef de section aurait essayé d'utiliser un de nos canons de 20mm montés sur VAB,...

Pendant ce mémorable mois d'octobre 1994, les opérations militaires de l'armée bosniaque se précisent inexorablement dans le secteur des Monts Igman sans que rien ni personne n'y puisse changer quelque chose. Une belle journée d'automne marquera à jamais les esprits. Sans aucun doute le jour de la grande offensive bosniaque contre les lignes serbes. Je ne me souviens plus de la date exacte, peu importe, c'était courant octobre 1994 si ma mémoire est bonne. Mais ce que j'ai vu et entendu ce jour-là, je ne l'oublierai jamais. Dés le début de la journée, le bruit incessant des tirs de mortiers et d'arme automatique dans notre zone laisse présager d'importantes opérations militaires en cours. Tout se passe à bonne distance de sécurité de notre poste et nous ne nous sentons pas vraiment menacés directement, même si parfois le canardage se rapproche de façon un peu inquiétante. Nous passons une grande partie de cette journée planqués dans nos petits abris protégés par des sacs à terre. Nous nous autorisons quelques sorties lorsque ça se calme un peu pour satisfaire nos besoins naturels, mais il semble ce jour-là que la guerre est à son paroxysme, du moins dans notre secteur. Le temps d'attente est parfois long dans les abris où nous sommes à l'étroit, même si nous devons être attentif pour comptabiliser les tirs que nous voyons ou que nous entendons. Mais on commence vraiment à se lasser et à se poser la question sur la véritable utilité de notre mission ici. Aussi le registre du comptage des tirs se tient un peu au pied levé. Nous prenons note sur une feuille de carnet qui le soir venu sera donné à l'adjudant. Je veille plus à la propreté du document qu'à l'exactitude des chiffres mentionnés. La motivation baisse et tout le monde commence à douter du sens de notre présence ici. Par moment, je m'autorise à sortir de l'abri discrètement, en espérant que l'adjudant ne m'aperçoive pas. Tôt le matin, la consigne stricte a été donné de rester impérativement dans les abris, jusqu'à nouvel ordre. C'est lors d'une de mes petites escapades clandestines, alors que le mitraillage se fait toujours entendre mais à bonne distance, que j'entends le bruit caractéristique de la rotation des pales d'un hélicoptère. Je me planque à l'abri du mur le plus proche. C'est alors que je vois surgir de derrière la montagne, au nord de notre position, un hélicoptère d'attaque soviétique de type Mi-24. Je n'en crois pas mes yeux. Aucun doute sur cet appareil légendaire que je reconnais de suite pour l'avoir étudié des centaines de fois lors de cours sur le renseignement et la lutte anti-aérienne. Je l'ai même construit en maquette miniature. Autant dire que je sais reconnaître cet hélicoptère. Mais bon sang, que fait-il ici ? C'est la guerre, jusque là rien de bien surprenant, mais pour quelle raison intervient-il ici ? Que de questions à jamais sans réponse. Juste le temps de le voir et dans une manoeuvre acrobatique il disparaît derrière la montagne aussi vite qu'il m'est apparu. Je retourne précipitamment à mon abri, tout excité par cette vision extraordinaire. Je n'ose pas rendre compte à l'adjudant car terré dans mon abri, je ne suis pas vraiment censé pouvoir voir un hélico au nord de notre position. J'en parle à mes camarades qui ont du mal à me croire. Bien plus tard j'en parlerai avec les autres sergents de la section. Certains m'avoueront avoir entendu le bruit des rotors mais ne pas l'avoir aperçu. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, en fin d'après-midi, alors que les opérations continuent et que l'ordre de rester aux abris est maintenu, j'ose encore sortir un peu de notre trou car je ne tiens plus en place. Et là, j'assiste en directe à quelque chose d'incroyable. D'où je suis, au nord je vois clairement la montagne de Bjelasnica. Et dans le ciel d'un bleu éclatant au dessus de cette montagne, je distingue alors une sorte de montgolfière de forme ovoïde et de couleur gris métallisé. Elle projette des reflets très brillants dans ce magnifique ciel d'automne. Au loin, des tirs se font entendre inlassablement. Une fois de plus, je n'en crois pas mes yeux. De suite, je pense à un engin extra-terrestre, mais dans la seconde qui suit ce mystérieux appareil explose dans le ciel et disparaît dans un nuage de fumée noirâtre qui perdure un moment avant de se dissiper peu à peu. D'autres explosions se succèdent dans le ciel. Cela est incompréhensible. Je suis abasourdi. De quoi s'agissait-il ? Encore une question sans réponse. Personne ne pourra y répondre. Cette vision va me hanter très longtemps. Suis-je devenu fou ? En discutant de cela avec mes camarades, aucun n'avouera vraiment avoir vu la même chose que moi, ce qui renforcera mes interrogations et mon inquiétude. Le soir de cette journée très particulière, les tirs finiront par cesser et nous pourrons reprendre le cours d'une vie en apparence normale dans notre poste. Mais après cette journée si particulière, plus que jamais la vie semble alors si différente de ce qu'elle était avant. Au souper, nous échangeons de curieux regards qui en disent long sur notre incrédulité. Tout cela est-il bien réel ? Ou n'est-ce qu'un mauvais rêve ?

Combattants et casques bleus sur les Monts Igman
Préparation des bandes de cartouches de 20mm

Le fusil Mc Millan


Char T-54 et VAB de la Forpronu






VAB équipé d'un canon de 20mm
L'antenne relais du sommet de Bjenaslica



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire