dimanche 1 mai 2016

Chapitre 7





7
Les positions d'observation isolées
        A la fin du mois d’octobre nous pouvons faire le constat que l’offensive bosniaque semble avoir été une réussite. Les serbes ont bel et bien été délogés de leurs positions et le front s’est déplacé vers l'est. Le bruit des combats nous apparaît peu à peu plus lointain. Quelque part cela est plus rassurant pour notre sécurité même si nous n'avons pas été en mesure de changer le cours des choses. Nous ne sommes plus positionnés entre deux feux. Maintenant nous allons être confronté à un autre problème, tout aussi délicat que ce que nous avons subi précédemment. Le fait de se trouver désormais derrière les nouvelles positions bosniaques, va nous amener à nous interroger sur la conduite à tenir face aux convois de ravitaillement bosniaques qui vont inévitablement traverser la zone que nous sommes censés contrôler. Notre commandement va s'organiser avec les moyens du bord mais là encore, nous ne sommes pas en mesure de faire grand-chose. Le gros des mouvements de troupes et de matériel bosniaque s'effectue de nuit, en empruntant des pistes ou des sentiers à couvert que nous avons un mal fou à contrôler à cause de notre manque de moyens. La logique veut donc que l'on consacre nos efforts sur la surveillance de la limite ouest de notre zone, à défaut de pouvoir la fermer hermétiquement , au moins pour être en mesure de renseigner le commandement à Sarajevo sur les mouvements qui se produisent. Là aussi ça ne va pas être triste. De jour, on arrivera relativement bien à contrôler tout mouvement dans notre zone, mais de nuit, ce sera impossible. Ce terrain montagneux sera quasi incontrôlable avec nos faibles effectifs, d'autant que la détermination des combattants bosniaques sera renforcée par le succès de leurs opérations. C'est alors, qu’à tour de rôle, par petite équipe de quatre ou cinq hommes, nous allons tenir des positions isolées en limite ouest de notre zone, sur des points stratégiques. Présence de la Forpronu plus symbolique qu'efficace car il est facile pour les belligérants de nous éviter ou de passer pendant la nuit. Il n'y a rien dans ces endroits perdus au bout du monde qui puissent nous offrir une protection correcte, aussi nous y monterons la garde dans un VAB, protégés par l'acier et le blindage de la carlingue, au milieu de nulle part le plus souvent, jour et nuit pendant trois ou quatre jours. Autant dire que tout confort y est inexistant et que nous y serons fortement exposés à toutes sortes d’aléas.    ....
La relève sur ces positions est particulièrement délicate car l’accès difficile présente de nombreux dangers, principalement des ravins qui côtoient les pistes chaotiques que nous empruntons inévitablement. Certains points de passages obligés nous font froid dans le dos. Je me souviens d'un spécialement qui a marqué nos esprits de façon notoire. Sur ce trajet qui nous mène sur une position très isolée, la plus éloignée de la base de la compagnie, il y a une méchante pente très raide en ligne droite et d'un côté c'est presque le vide sur 200 mètres. C'est autant effrayant à la descente qu’à la montée. Lorsqu'il a plu, cette piste est boueuse et extrêmement glissante. Il y a des ornières énormes, creusées par le passage de nos VAB. Gares au pilote qui perd le contrôle du véhicule… c'est la catastrophe assurée. Plusieurs s'y sont enlisés et il a fallu le treuil de la dépanneuse pour les sortir de ce mauvais pas. Mais par chance personne n'y a fait le grand saut. Aussi, chaque fois que l'on part sur cette position pour y monter la garde pendant plusieurs jours, c'est le gros coup de stress et d’angoisse. Pas seulement à cause des mauvaises rencontres que l'on est susceptible de faire dans ce coin perdu, mais surtout à cause de ce maudit passage sur le trajet. Je prends mon tour là bas en tant que chef de groupe. Normalement je n'aurais pas pu car je ne suis que caporal-chef mais j'ai une autorisation express du colonel, du capitaine et de l’adjudant. Ils m’accordent toute leur confiance pour faire face à la pénurie de chef de groupe. Nous sommes en sous effectif notoire face à la situation que nous subissons. Je possède tout de même les examens et la formation adéquates. Ici en Bosnie, je suis extrêmement motivé pour faire mes preuves et relancer ma carrière. Le terrain et la situation s'y prêtent parfaitement à mon goût. On n’est plus dans la simulation, ni le fictif. La situation de guerre est bien réelle même si l'on est pas en permanence le doigt sur la gâchette, les belligérants s'en chargent pour nous. Il faut être solide et tenir. Plus de grande théorie, on est dans le concret. Cette situation de crise correspond à mon caractère. J'ai grandi à la campagne et dans les bois. Je pilote mon VAB comme un tracteur et ça marche. Je peux rester plusieurs jours sans me laver et garder un moral d'enfer que je communique à mes hommes sur le terrain. Savoir faire rire du pire, quant on est dans l’inconfort presque total. Me voilà donc entrain de piloter ce fichu VAB dans cette satanée descente. Personne de l’équipe n'a insisté pour prendre la place de conducteur sachant à l'avance ce qui nous attendait. A l’arrière du véhicule, il y a un silence de mort, mon copilote s'accroche au tableau de bord et marmonne ce qui semble être des prières. J'utilise un maximum le frein moteur de l'engin qui commence à hurler de façon inquiétante. On descend la pente à vive allure mais comment faire autrement. Je ne dois surtout pas freiner brusquement au risque de faire sortir le VAB de sa trajectoire et de précipiter tout le monde dans le vide. Je n'ose pas regarder à ma gauche car je sais que c'est le ravin et qu'il ne faut surtout pas tomber là dedans. Je m'efforce de garder les roues bien droites et de suivre le cheminement des ornières. Nous passons finalement, sain et sauf, avec une belle poussée d’adrénaline pour toute l’équipe. Je pense déjà au retour et comment franchir cette montée sans rester planté ou verser dans le vide. Faudra mettre les gaz ! Et rouler droit.
Nous continuons à progresser sur cette piste environ deux kilomètres, la pente se radoucit et nous débouchons dans une vallée assez large où il n'y a rien, exceptés de modestes pâturages à flan de montagne. Nous finissons par arriver au milieu de nulle part où nous apercevons le VAB de l’équipe que nous venons relever. Les collègues sont frénétiquement contents de nous voir enfin et après nous avoir donné les consignes particulières relatives à la position et à l'observation du secteur, ils s’empressent d’embarquer dans leur VAB et de déguerpir, moteur ronflant. La nuit tombée, il faudra impérativement rester enfermé dans notre véhicule car il y aurait des rôdeurs suspects et on ne doit prendre aucun risque inutile. Le paysage qui s'offre à nous est plutôt déprimant. C'est désertique. Les montagnes qui nous entourent sont presque effrayantes. Le ciel est couvert et il fait froid en cette journée d’automne, l'hiver approche à grand pas sur les Monts Igman. Au loin, à la jumelle -classique-, on distingue un carrefour de pistes qu'il faut particulièrement surveiller. Il faut impérativement rendre compte au PC compagnie de toutes activités ou véhicules observés. Sur notre gauche à flan de montagne, on distingue un petit troupeau de moutons. Apparemment seules âmes qui vivent dans le secteur. Pourtant le berger ou la bergère ne doivent pas être bien loin. La journée est bien avancée et l'heure du souper approche. Après avoir organisé les tours de garde pour la nuit, nous sortons de nos sacs nos rations de combat. Quel festin qui s'annonce ! Certains échangent une boite de saucisses lentilles contre un cassoulet. Le feu allumé par nos prédécesseurs couve encore et après l'avoir ressuscité avec quelques bouts de bois qui traînaient à proximité, nous essayons de faire réchauffer nos boites de conserve. A défaut, nous avons tous dans nos rations une espèce de pastille de combustible qui chauffe pas mal lorsque l’on a réussi à l'allumer. 
La nuit venue, nous nous barricadons dans le VAB. Entassés comme des sardines. C'est presque un plaisir de monter la garde assis à l'avant du véhicule comparé à l’inconfort à l’arrière où il est impossible de s'allonger complètement et très difficile de bouger. La nuit passe très lentement, le froid nous pénètre inexorablement. Ceux de garde scrutent inlassablement le néant à l’extérieur. Parfois, ils pensent avoir perçu un bruit ou un mouvement et c'est alors toute l’équipe qui retient son souffle, aux aguets, dans l'attente d'une confirmation qui n'arrive jamais. Dehors c'est l’obscurité totale. Cette fois-ci nous n'avons pas de jumelles à intensificateur de lumière1, alors on ne distingue quasiment rien dans le noir. Le temps passe, interminable. Ceux qui sont de repos à l’arrière somnolent dans l'inconfort le plus total. On a vite mal au dos. Ça gratte partout car ici on ne peut pas faire sa toilette et se mettre en pyjama pour dormir. Tout juste si on enlève ses chaussures pour se mettre un peu au chaud dans son duvet. Bien entendu ça finit par puer là-dedans mais on s'habitue vite. Si on veut pisser, cela est problématique car il faut ouvrir la porte arrière du VAB et on expose alors toute l’équipe car il est difficile d’être certain de pouvoir sortir en sécurité en pleine nuit. Soit le gars pisse dans une bouteille, soit il demande aux gars de garde de mettre le nez dehors par la trappe de toit pour vérifier qu'il n'y a personne planqué aux abords du VAB. Dans le noir on est jamais vraiment certain de quoique ce soit, surtout si l'on a pas d'I-L, mais on prendra parfois le risque pour une grosse envie pressante. 
Au beau milieu de la nuit, on entend soudainement taper contre la carlingue du  VAB à l’extérieur. On est subitement tous saisis d’effroi. Plus personne ne fait un bruit, ne respire ni ne bouge, presque paralysé par la surprise. Il y a longtemps que l'on a plus peur. Pourvu qu'on vienne pas nous coller une mine sous l'engin ou tout autre saloperie du même genre. Les mecs de garde ne voient rien à l’extérieur. On rend compte par radio au commandement. On nous donne l'ordre de mettre en route le VAB et de nous déplacer. On s’exécute. Je ne suis pas au poste de pilotage. Je demande au pilote d'avancer d'une centaine de mètres. On ne distingue toujours rien n'y personne à l’extérieur. Est-ce un fantôme ? Il doit y en avoir beaucoup en Bosnie. On se repositionne. Et puis plus rien. L'angoisse et l’attente interminable jusqu'au lever du jour. Certains arrivent à se rendormir un peu. Je reprends ma place à l'avant. Les premières lueurs du jour apparaissent peu à peu, comme la venue d'une délivrance. Dés que l'on y voit suffisamment je sors le premier. Grelottant et claquant des dents à cause du gel, je scrute les  environs avec la plus grande attention. J'inspecte prudemment les abords du VAB. Je m’accroupis et je regarde sous la carlingue. Il n'y a rien de suspect. Tant mieux. Sans doute s'agissait-il d'un blagueur, on ne le saura jamais. Le fond de l'air est glacial. Il a gelé à fendre du bois cette nuit et le sol est beau dur. Notre feu est mort et je m’affaire à le rallumer. Ce n'est pas facile quand il fait aussi froid. Le bois, humide et gelé, résiste fortement à s'enflammer. Cette situation me rappelle la vie à la ferme dans ma jeunesse. Tout les matins il fallait rallumer la cheminée et la cuisinière à bois. Tout un rituel mais aussi un art ancestral qui se perd de nos jours. A l’époque il n'y avait pas le chauffage central. Tout juste si le radiateur électrique à bain d'huile avait fait son apparition dans nos campagnes. Mais son usage était exclusivement réservé au chauffage des chambres où l'on dormait. Après plusieurs essais, j'arrive enfin à faire jaillir une petite flamme salvatrice et à embraser quelques brindilles. Il faudra bien un bon quart d'heure avant que je  n’obtienne un petit feu digne de ce nom. Il faudra bien l’entretenir toute la journée si l'on veut le garder. Les camarades me rejoignent dehors, tout grelottants. Chacun se réchauffe comme il peut, en sautillant ou en battant des bras. On fait chauffer de l'eau dans une gamelle pour le café. Après quelques gorgées, ça va un peu mieux. Je fais quelques pompes pour me réchauffer et j'invite mes gars à faire pareil. Ce n'est pas l’enthousiasme général et je n'insiste pas. Inutile d'imposer une telle chose dans ces conditions. A tout moment, n'importe lequel d'entre nous peut péter un plomb et il faut absolument éviter cela. D'autant que chacun a en sa possession arme et munitions. A ce régime, les jours et les semaines paraissent longs en Bosnie. Un soleil laiteux fait timidement son apparition dans le ciel, réchauffant sensiblement l’atmosphère. On tente désespérément un brin de toilette. On oublie le rasage, cela sera exceptionnellement toléré par le commandement. En plus, ils veulent que l'on est tous la moustache, ça tombe bien. On se brosse difficilement les dents et on se rince la bouche à l'eau glacée. Quel délice ! Pour le reste on verra plus tard. Ici il n'y a pas de wc ni de feuillets, encore moins un lavabo ou une douche. C'est la pleine nature. On devine bien un petit cours d'eau qui serpente au fond de la vallée mais il est trop éloigné de notre position et il est formellement interdit de s'y aventurer. Pour satisfaire nos besoins naturels, on doit s’éloigner à l’abri des regards et trouver l'endroit qui convient, en espérant ne pas marcher sur une mine anti-personnel. On prend une pelle pour creuser un trou et enterrer ses  déjections afin de toujours laisser le terrain propre derrière soi. C’est une tradition louable dans notre armée. La pelle à la main c'est le signal, le code donné aux copains pour dire je vais poser ma « pêche », foutez moi la paix un moment. C'est toujours comique de voir un camarade s’éloigner, le fusil dans le dos, un rouleau de papier toilette dans une main et la pelle dans l'autre.  Les heures passent, rythmées par les remplacements aux tours de garde. Parfois dans les jumelles on aperçoit quelque chose. Tout le monde veut voir. On se passe les jumelles presque frénétiquement pour être certain avant de rendre compte. Parfois il s’agit d’une petit convoi bosniaque qui progresse dans les montagnes au loin vers le Sud. Outre la présence d'hommes armés de Kalachnikov, il est composé de quelques chevaux chargés de gros sacs estampillé UN. Ce genre d’événement nous passe un moment même si l'on assiste de très loin, impuissants, au déroulement des opérations bosniaques. Mais ce type de convoi n'a rien d'alarmant, Il s'agit plus d'un convoi de ravitaillement en vivres qu'autre chose. Le gros des convois militaires et opérationnels bosniaques doit se faire de nuit, le plus possible à couvert. Le plus souvent, on peut apercevoir un ou plusieurs 4x4 Patrol qui progressent à vive allure sur une piste au loin. A peine le temps de rendre compte qu'ils ont disparus dans les montagnes. Ces 4x4 sont finalement les véhicules que l'on observe le plus souvent à cette époque. Ils sont particulièrement bien adaptés au terrain des Monts Igman et les bosniaques en font une utilisation judicieuse.     ...
A peine revenus au poste section, je dois déjà repartir sur une autre position le lendemain après-midi avec trois autres camarades . Cette fois ci nous allons dans un petit village en ruines beaucoup moins éloigné, toujours situé vers la limite ouest de notre zone. Son accès est relativement facile et le temps est au beau fixe. S'il fait toujours un peu froid la nuit, ce jour là, le soleil est radieux. Vers la fin de journée nous débarquons tambour battant avec notre VAB à l’entrée de ce sinistre endroit. Ce village est un peu à flan de montagne et là aussi, tout a été ravagé par des tirs et des bombardements de tout acabit. Le commandement nous demande de tenir cette position uniquement la nuit, donc demain matin on revient au poste section. On se positionne à l’entrée du village sur ce qui devait être autrefois un jardin. L'endroit serait presque agréable avec les arbres qui l'entourent. Tout est étrangement calme à ce moment là et on ne se méfie pas plus que cela, même si  à  tout moment une armada de combattants bosniaques pourrait bien débarquer. Par curiosité, on ose même s'aventurer dans l’embrasure de ce qui reste d’une maison toute proche, en fait la première à l’entrée du village. Ce que l'on découvre à l’intérieur est affligeant. Tout est cassé en milles morceaux. Des fils électriques s’enchevêtrent sur des débris de mur dans un amas d’immondices horribles à regarder.  Je pense à ceux qui devrons un jour reconstruire cette bâtisse, il y aura du boulot pour nettoyer tout cela. Mais ce n'est pas pour demain. Dépités nous retournons au VAB et décidons d'explorer à pieds plus en avant les environs. Sans trop nous éloigner, nous nous retrouvons rapidement aux abords d'un petit champs jonché d'herbes sauvages assez hautes où il y a un arbre plutôt imposant. Nous nous postons là un moment tout en scrutant attentivement le sol ainsi que les montagnes alentours. Il n’y a rien de spécial et l'endroit semble désert. Le temps passe et l'heure du souper approche. Toujours le même rituel, toujours les mêmes rations de combat. Il n'y a qu’au poste section que l'on mange relativement bien. Sur les positions c'est frugal et vite expédié. Nous retournons vers le VAB qui n'est qu’à une centaine de mètres. Soudainement l’explosion d'un tir de mortier crève le silence dans les montagnes environnantes, elle est immédiatement suivi du sifflement caractéristique de l'obus dans le ciel qui se rapproche dangereusement. Instinctivement nous nous précipitons tous vers l’arrière du VAB et on se jette à l’intérieur en se bousculant. A peine les portes sont-elles refermées que l'obus explose à proximité. Nous nous regardons ahuris, presque sonnés par la déflagration et subitement on se rend compte qu'il manque l’un d'entre-nous. Nous entre ouvrons une porte et notre camarade surgit et se précipite à son tour dans le VAB, tout tremblant mais sain et sauf, sans blessure apparente. Il était rester un peu en arrière de nous tous pour pisser un coup tranquillement. Il a eu le réflexe de se coucher au sol derrière un arbre quand il a entendu l’obus de mortier siffler dans l'air vers notre position. Il a eu très chaud aux fesses. Il est maintenant agité et perturbé. On essaye de le calmer en le réconfortant amicalement. D'autres tirs se font alors entendre mais les explosions sont plus éloignées. Cela n'arrange pas l’état  de notre camarade qui est choqué. Après quelques minutes il semble aller mieux.  Il arrive à nous expliquer que l'obus a dû exploser là où nous étions tous quelques minutes avant, dans le champs près du gros arbre. C’est une fois de plus la consternation. Etions-nous observés et nous a-t-on visé volontairement ? Est-ce une coïncidence ou une simple erreur ? voir un mauvais tir de réglage ? Nous ne le saurons jamais. On s'en tient à une belle frayeur. Les tirs se prolongent pendant une bonne heure, puis ils cessent. Nous restons dans notre VAB jusqu'au lendemain matin, la boule au ventre rien que de penser à la catastrophe dont on a réchappé de justesse.       ....
Pendant plusieurs jours, ce village fantôme va particulièrement occuper toute l’attention de la compagnie. En effet, des bosniaques cherchent à l'investir, probablement pour en faire une base arrière. Un de ses derniers soirs, en arrivant sur place, les camarades ont découverts avec surprise plusieurs personnes qui s’étaient installées dans ce village. Il a fallu les obliger à partir. Le commandement affiche sa volonté de rester ferme et de ne pas céder à la pression. Nous avons vent de discussions houleuses entre nos chefs et les bosniaques sur ce sujet. Quelques jours plus tard, je dois retourner sur cette position avec une équipe. Les consignes ont changées. Nous ne devons plus descendre dans le village mais le surveiller à partir des hauteurs qui le surplombent. En début de soirée, nous prenons position sur la montagne, au bord de la piste, juste au dessus du village. Nous devons impérativement rester à l’intérieur du VAB car la situation est tendue. Le capitaine m'a expliqué personnellement qu’il fallait absolument continuer à contrôler ce village. Nous devons être extrêmement vigilant durant la nuit. Exceptionnellement, nous sommes dotés d'une jumelle à intensificateur de lumière pour déceler précisément tout ce qui pourrait se passer dans l’obscurité. C’est le grand luxe ! Nous garons notre VAB le nez face au village qui se trouve en contrebas à environ 500 mètres. Notre position est parfaite pour l’observation du secteur. Nous avons un panorama à plus de 180°.  Toute l’équipe reste prudemment cloîtrée dans le véhicule. Les deux hommes de garde à l'avant demeurent très attentifs à tout ce qui pourrait se passer dans le village et ses environs. Dès le début de la nuit, grâce à l'usage de cette IL, nous observons quelques renards qui rôdent dans la montagne à la recherche de nourriture. C'est intéressant de voir ce petit manège dans les optiques de la jumelle. On distingue plutôt bien leurs silhouettes qui nous apparaissent de couleur verte fluorescente sur un fond plus sombre. Leurs petits yeux brillent comme des vers luisants. Rien ne peut nous échapper si nous balayons le secteur méthodiquement avec l'I-L. Cela est fatiguant pour les yeux et nous nous relayons régulièrement. Soudainement, vers 22h, les gars qui montent la garde pensent voir du mouvement dans le village. Je me faufile à l'avant du VAB et avec l'I-L je décèle effectivement au moins deux personnes qui se déplacent furtivement entre les maisons en ruines en contre bas. On devine qu'ils cherchent à se cacher. Aussitôt, je rend compte au PC compagnie. Le capitaine en personne me répond. Il me demande plus de précisions. Je m'efforce à lui expliquer ce que je vois, c’est-à-dire deux hommes qui évoluent à couvert entre les ruines du village. Après quelques secondes de silence et contre toute attente, il me donne subitement l'ordre d'ouvrir le feu. Il me précise toutefois de tirer seulement quelques rafales de Famas bien au dessus des personnes repérées. Nous n'avons pas à sortir notre fusil mitrailleur. Il n'est pas question de blesser ou tuer qui que ce soit mais uniquement d'essayer d'intimider ces satanés visiteurs  et de leur rappeler qu'ils n'ont rien à faire dans la zone ONU à cette heure de la nuit. Considérant qu’à ce moment précis, c’est moi le chef de groupe en titre, je me désigne tout naturellement pour cette action de feu. Je récupère rapidement mon Famas et un chargeur de munitions. J’ouvre la trappe de toit du VAB et je me redresse à l’extérieur. Je sent l’air vif sur mon visage. Après avoir approvisionnée et chargée mon arme, j’ouvre le feu dans l’obscurité, en visant assez haut dans la direction du village pour ne toucher personne. Mais comment en avoir la certitude ? Je tire plusieurs rafales et je vide une bonne partie des cartouches de mon chargeur. Les détonations des coups de feu claquent dans le silence de la nuit. Des flammes jaillissent du canon de mon arme et les balles traçantes provoquent des traînées rougeâtres qui se perdent au plus profond des ténèbres. Je me remets rapidement en sécurité à l’intérieur du VAB et je referme vigoureusement la trappe de toit. Les camarades sont en effervescence. Je questionne celui qui est en train d’observer avec l'I-L. Il pense avoir vu les personnes s'enfuir précipitamment vers la sortie du village et maintenant il ne voit plus personne. Cette action n'aura pas été vaine pour maintenir notre contrôle sur cette position, du moins pour l'instant. Je rend compte au capitaine qui semble satisfait. Maintenant, il va falloir rester sur nos gardes plus que jamais pour le restant de la nuit, en espérant ne pas subir de représailles. Exceptés les quelques renards qui persistent à rôder dans les alentours, nous ne décèlerons plus rien  jusqu'au petit matin. Je ne dormirai pas beaucoup cette nuit-là, agité par cet événement et toujours prêt à intervenir rapidement en cas d'une nouvelle alerte. Au lever du jour, nous distinguons à peine le village en contre-bas à cause d'un épais brouillard. Nous recevons l'ordre de nous replier vers le poste section. 


1Jumelles de vision nocturne communément appelée « I-L »



Berger et ses moutons
Grange sur les Monts Igman



Dame bosniaque et son flingue


Camion de ravitaillement embourbé









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